Américo Nunez, décédé en janvier 2024, rappelait ses origines : ”Je suis fils de paysans presque illettrés”. D’origine portugaise, il a vécu jusqu’à 21 ans au Mozambique aux bords de l’Océan Indien. Il y apprécie le vagabondage dans la nature sauvage mais aussi les livres : toute sa vie il sera un lecteur passionné. Il s’oppose au colonialisme imposé par le régime de Salazar.
Pour poursuivre ses études, il s’installe à Paris et retrouve des Mozambicains avec qui il milite dans les milieux tiers-mondistes, dans une période où des guérillas existent dans de nombreux pays en Amérique Latine et en Afrique. Il y fréquente différents militants marxistes, notamment trotskistes.
En juillet 1963, il a l’occasion de partir pour plus de deux ans à Alger où il travaille pour l’agence de presse cubaine ”Prensa Latina”. Dans ce pays récemment indépendant dirigé par Ben Bella qui fait des discours enflammés sur l’autogestion, il constate la réalité sur le terrain, ce qui l’amène à remettre en question ses convictions de l’époque : ”La lutte armée, là où elle triomphe, conduit à l’instauration de régimes nationalistes despotiques”.
De retour en France il élargit ses connaissances historiques, notamment sur l’URSS, qui le conduisent à penser que ”L’État révolutionnaire, c’est cette machine qui te contraint à passer du romantisme révolutionnaire au pragmatisme de la Realpolitik”.
Il vécut Mai 68 avec une émotion profonde dans le ”Comité d’action étudiants-travailleurs de Censier” : ”Il y eut en Mai 68 une quête à grande échelle de la véritable communauté humaine”.
Partisan des conseils ouvriers, il s’investit dans ”Socialisme ou Barbarie”, il se dit ”bakounino-marxien” et se rapproche de plus en plus de l’anarchisme : ”Si tu prends le pouvoir, tu t’enfermes inexorablement de la logique du Pouvoir”.
Il nous interroge : ”Pourquoi les révolutionnaires sont-ils toujours les vaincus de l’Histoire ?”.
Ces phrases sont extraites des conversations qu’il a eu pendant plusieurs années avec Yann Martin.
Il a ensuite demandé à notre invité Freddy Gomez de les mettre en forme pour un livre, récemment sorti aux Éditions l’Échappée : Orages pour un autre rêve.
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09 juin 2025 Luttes sociales
L’équipe de Trous Noirs est exceptionnellement absente ; retrouvons-nous la semaine prochaine.
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02 juin 2025 Anarchie et anarchistes
De la révolution par la grève générale est un texte rédigé par Fernand Pelloutier en 1892. Alors âgé de 25 ans, il commence à militer à Saint-Nazaire dans les milieux socialistes.
À cette époque la Fédération nationale des syndicats, créée en 1886, était contrôlée par le Parti ouvrier français, organisation marxiste dirigée par Jules Guesde qui privilégiait l’action parlementaire et la ”conquête des pouvoirs publics”.
À son arrivée à Paris en 1893 il fréquente les anarchistes, notamment Émile Pouget et Bernard Lazare. Il s’investit dans les Bourses du Travail, où se retrouvent les ouvriers de diverses corporations, qui vont devenir des lieux à la fois politiques et culturels de la classe ouvrière, outils de lutte et d’organisation pour une société future.
Il milite pour une Fédération des Bourses du Travail, dont le pacte fédératif adopté au Congrès de Nantes en 1894 marque la rupture totale de la FBT et des diverses tendances socialistes à l’exception des allemanistes, proches des anarchistes. Il écrit dans Les Temps nouveaux, alors qu’il est devenu le secrétaire de la FBT : ”Le syndicat est l’organisation à la fois révolutionnaire et libertaire qui pourra seule contrebalancer et arriver à détruire la néfaste influence des politiciens collectivistes”.
Les Bourses du Travail se développent rapidement et sont en 1900 au nombre de 57, groupant 1065 syndicats. Malgré la création de la CGT en 1895 à Limoges, elles continuent à avoir leurs propres Congrès.
En décembre 1899 Fernand Pelloutier assiste en observateur au Congrès de la salle Japy où s’amorce l’unité des socialistes, qui débouchera sur la création de la SFIO en 1905. Il en fait le compte-rendu et annexe la ”Lettre aux anarchistes” exprimant sa crainte que l’enthousiasme qui s’ensuivra ”ne détermine une partie des syndicats à se remettre sous le joug politicien”. Il engage donc ceux des anarchistes ”qui croient à la mission révolutionnaire du prolétariat éclairé à poursuivre plus activement plus méthodiquement et plus obstinément que jamais, l’œuvre d’éducation morale, administrative et technique nécessaire pour rendre viable une société d’hommes libres”.
Dans ce texte il décrit les anarchistes comme ”des révoltés de toutes les heures, des hommes vraiment sans dieu, sans maître et sans patrie, les ennemis irréconciliables de tout despotisme, moral ou matériel, individuel ou collectif, c’est-à-dire des lois et des dictatures – y compris celle du prolétariat - et les amants passionnés de la culture de soi-même”.
Notre invité Francis Linart, un des animateurs de la revue en ligne Les Obscurs, évoque avec nous l’importance historique de celui qui sera plus tard considéré comme un des ”pères fondateurs” du syndicalisme français.
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